Les échouages de cétacés, vivants ou morts sont des évènements relativement
fréquents sur les berges des eaux fréquentées assidûment par ces derniers. C'est
aussi un événement toujours spectaculaire, car il arrive que les animaux échoués
soient de grande taille, ou en grand nombre et que l'animal échoué est visible
dans sa totalité, ce qui n'est que très rarement le cas quand on l'observe dans
son milieu naturel. À cela s'ajoute le mythe créé autour de ces superbes
créatures, qui vient ajouter au sentiment de peine qu'on peut ressentir devant
le cadavre de tout animal sauvage. Dans les faits cela reste un événement rare,
si on le situe dans son contexte, c'est à dire si on considère le nombre de
cétacés qui fréquentent les eaux sur le bord desquelles on trouve des spécimens
échoués, par rapport à ces derniers. |
![]() Nécropsie de Pita(B. musculus) Baleine bleue mâle sur l'Île d'Anticosti, juillet 1992 Photo : Pierre-Henry Fontaine © |
Il faut dès le départ distinguer deux sortes d'échouages :
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Echouages d'animaux déjà morts |
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![]() Petit rorqual à Ragueneau, Qc, 06/95. On remarque une blessure, en arrière de la dorsale, probablement causée par une hélice de bateau. Elle a probablement causé la mort. Photo : Pierre-Henry Fontaine © |
Lorsqu'un cétacé meurt en mer, quelle que soit la cause de sa mort, il peut
flotter ou il peut couler vers le fond. S'il flotte, il va se mettre à dériver
au gré des courants et même parfois du vent. Pendant sa dérive, il va se
corrompre et servir de nourriture à toute une série de carnivores, petits ou
gros qui ne laisseront pas passer cette manne sans en profiter. Plus les
courants et le vent vont le maintenir longtemps en mer, moins il aura de chances
de venir s'échouer, car en se faisant détruire par la corruption et les divers
organismes qui vont s'en nourrir, il perdra sa flottabilité. Il finira donc par
couler vers le fond de la mer. |
Si par contre il se trouve près des côtes,
surtout dans une région où les courants ont tendance à y apporter des épaves, il
va s'échouer rapidement, souvent en assez bon état pour qu'il puisse être
nécropsié par des spécialistes qui en profiteront pour essayer de déterminer la
cause de la mort et prélever des échantillons de tissus pour études ultérieures.
Ces échouages ne sont pas différents de celui d'un tronc d'arbre ou de n'importe
quelle épave, cependant ils sont souvent beaucoup plus médiatisés, et ceci pour
plusieurs raisons. |
Comme nous l'avons dit dans l'introduction, le mythe créé autour des cétacés par
certains auteurs et certains groupes environnementaux va susciter une émotion
plus grande que celle de l'échouage d'un cadavre de gros poisson, les très
grands requins mis à part (eux aussi sont entourés de nombreux mythes). |
Lorsque la carcasse est dans un endroit isolé du public, ou qu'elle a pu être
transportée dans un endroit relativement tranquille, comme une décharge, par
exemple, le travail reste dur, car manipuler un spécimen qui pèse quelques
dizaines de tonnes, la plupart du temps dans une odeur indescriptible, et dans
un nuage de mouches que le vent peut transformer en projectiles (qui vont
immanquablement aboutir dans la bouche ou le nez), n'est jamais facile. Mais je
dois dire que la possibilité de voir en vraie grandeur les organes gigantesques
de ces animaux, pouvoir enfin comprendre ce qui n'est pas toujours bien décrit
et souvent mal illustré dans la littérature, essayer de trouver la cause de la
mort, récolter des spécimens qui pourront être utilisés pédagogiquement...tout ça
fait partie des grandes joies de mon existence. |
Lorsque la carcasse est dans un endroit où elle ne peut être déplacée qu'en
morceaux et très rapidement à cause des réactions des riverains, le travail
prend d'autres proportions et il faut pratiquement une personne pour répondre à
la curiosité légitime du public pendant que se fait le travail de nécropsie.
Souvent, malheureusement on devra se contenter d'un travail sommaire à cause des
pressions constantes pour que la carcasse soit déplacée le plus rapidement
possible. |
En ce qui concerne les échouages de petits cétacés, les animaux déjà morts
peuvent être relativement facilement déplacés vers des institutions
spécialisées, écoles vétérinaires ou laboratoires de pathologie animale. C'est
dans ces endroits que s'effectueront les nécropsies si l 'état de la carcasse le
permet. Les carcasses trop décomposées seront jetées dans les décharges ou
abandonnées aux éléments naturels si elles s'échouent dans des endroits déserts. |
On peut regretter que les lois concernant la possession de parties de cétacés
soient aussi sévères. La plupart des pays appliquent d'une façon presque
religieuse la convention de Washington qui réglemente de façon très stricte la
possession de squelettes ou d'organes de cétacés. Cela a comme conséquence de
priver le public de spécimens qui peuvent avoir une grande valeur pédagogique.
Il est toujours possible de demander des permis de type scientifiques, mais la
difficulté et les délais impliqués dans ces demandes découragent souvent les
demandeurs. |
![]() Une île? Non, le cadavre d'une baleine bleue (B.musculus) Île d'Anticosti, Qc. Photo : Pierre-Henry Fontaine © |
Il serait bon à mon avis de faciliter l'accès à ces permis pour les institutions et les individus impliqués dans l'éducation ou la sensibilisation du public afin que ne se gaspillent pas des spécimens qui seraient beaucoup mieux dans une salle d'exposition que dans une décharge ou dans des boîtes de viande à chien! |
Echouages d'animaux vivants |
Il arrive que des mammifères marins arrivent vivants sur le rivage. Dans
certains cas il s'agira d'animaux isolés, dans d'autres cas, surtout lorsqu'il
s'agit d'espèces grégaires formant parfois des groupes importants, on peut
assister à l'échouage de quelques dizaines voir même quelques centaines de
cétacés. Ces évènements, pour spectaculaires qu'ils soient, sont quand même
rares par rapport au nombre d'individus qui fréquentent les eaux sur les bords
desquels ils ont lieu. On ne sait rien de tous les cétacés qui ont réussi à
reprendre le large après un échouage partiel et sans témoin. Ceux-ci ne
s'échoueront peut-être jamais plus ayant eu la chance de tirer une leçon de ce
qui aurait pu être fatal. Malheureusement, le " langage " des cétacés n'étant
pas capable de véhiculer des abstractions, ils ne pourront communiquer leur
expérience à leurs congénères. |
Ce sont surtout les baleines à dents (odontocètes) qui vont venir se jeter
vivants à la côte, Il peut arriver que des baleines à fanons (Mysticètes) en
fassent autant mais, dans la plupart des cas, ce sont de très jeunes spécimens,
qui se sont fait prendre par la marée descendante, sur des hauts fonds. Cela
tient peut-être au fait que les mysticètes se tiennent généralement plus loin
des côtes, à cause de leur nourriture ou à la façon dont elles se nourrissent ou
au fait qu'elles aient une structure sociale beaucoup moins bien structurée que
les odontocètes. |
Les échouages massifs de baleines à dents peuvent être dus à plusieurs causes. |
Il peut arriver qu'un animal, vieux ou malade vienne délibérément s'échouer pour
échapper à la noyade. Lors de son agonie, il va émettre des signaux de détresse
qui seront interprétés comme des appels à l'aide par le reste du groupe qui va
venir rejoindre le premier animal et donc s'échouer à son tour. Un cas du genre
a été observé avec des faux-orques(Pseudorca crassidens). Un vieil animal
s'étant jeté à la côte, le reste du troupeau a suivi. Heureusement dans ce cas,
des personnes présentes ont pu maintenir le groupe dans de l'eau suffisamment
profonde pour qu'il survive jusqu'à la mort du vieux spécimen. Le vieil animal
ayant cessé ses cris de détresse, le groupe a repris le large. Un jeune
cachalot, désorienté par le fait que sa mère le repoussait après la naissance
d'un nouveau petit, après avoir essayé en vain de trouver de l'aide auprès des
autres membres du groupe a fait une erreur et s'est échoué. Ses cris de détresse
ont provoqué l'échouage du reste du groupe, et malheureusement leur mort. |
![]() Petit rorqual surpris par le jusant sur les battures de l'Île-Verte Qc. Un témoin de l'échouage maintient sa peau humide. L'animal est mort quelques heures plus tard. Photo : Pierre-Henry Fontaine © |
![]() Rorqual commun (B. physalus) pointe au Père Qc. La nécropsie a démontré qu'il avait été tué par une collision avec un transatlantique Photo : Pierre-Henry Fontaine © |
Il serait plus humain, dans des cas semblables, si on peut identifier l'animal
malade, ou si on repère le premier animal échoué et s'il est trop gros pour être
remis à l'eau, de le tuer le plus rapidement possible pour faire cesser ses cris
de détresse. Cela peut sembler cruel, mais la remise à l'eau d'un animal aussi
gros qu'un jeune cachalot est pratiquement impossible, et s'il passe un certain
temps échoué, la circulation du sang est interrompue dans les tissus écrasés par
le poids de l'animal. S'il est remis à l'eau, ces tissus vont se nécroser et
éventuellement provoquer une septicémie qui tuera l'animal. |
D'autres cas d'échouages collectifs peuvent aussi se produire lorsqu'un groupe
de cétacés est en chasse, dans des eaux peu profondes, dont le fond est en pente
douce et par mauvais temps, quand elles sont chargées de particules qui peuvent
nuire au bon fonctionnement du sonar des cétacés. |
Il peut arriver qu'un individu
se fasse prendre car ses proies, plus petites, ayant un plus faible tirant d'eau
peuvent l'avoir, involontairement bien sûr, attiré vers des hauts fonds qu'il
n'aura pas repérés. Le même scénario se répète : cris de détresse, arrivée
d'autres membres du groupe qui vont à leur tour s'échouer et lancer des appels à
l'aide...Graduellement, tout le groupe se jettera à la côte. |
![]() Baleine à bec commune surprise par le jusant très loin de son habitat normal (Ile de Sable, N.E.., Canada) Photo : Pierre-Henry Fontaine © |
Enfin il peut y avoir des erreurs de navigation soit au cours d'exploration de
nouveaux territoires de chasse, soit au cours de migrations. Un événement,
survenu sur l'Île-Verte, au Québec semblerait confirmer la thèse des erreurs de
navigation au cours de l'exploration de nouveaux territoires de chasse : Le 9
septembre 1999, 7 dauphins à flancs blancs (Lagenorhynchus acutus) sont entrés
dans une baie de l'Île-Verte. Ils paraissaient désorientés et vouloir se jeter à
la côte. Avec un témoin, j'ai essayé pendant plus de 2 heures de les repousser
au large, en vain. Lorsqu'on les prenait en arrière des nageoires et qu'on les
entraînait vers le large, on les sentait lutter pour revenir à la côte. Ayant
réussi à en repousser 4 dans de l'eau assez profonde, et les voyant entraînés
par le jusant vers la pointe ouest de l'Île, nous avons pensé les avoir sauvés.
Nous avons été avertis une heure plus tard qu'ils s'étaient de nouveau jetés à
la côte, huit cent mètres plus loin. Les 7 dauphins sont finalement morts. |
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Beluga (delphinapterus leucas) échoué sur l'Île-Verte, Mai 2000.
Une blessure à l'abdomen aurait pu être causée par une hélice de bateau Photo : Pierre-Henry Fontaine © |
Ces dauphins se trouvaient loin en amont de leur territoire habituel. Je pense
qu'ils avaient suivi un azimut pour pénétrer dans le Saint-Laurent, et s'étaient
décalés vers le sud par rapport à leur voie d'entrée lorsqu'ils voulurent
ressortir, et l'Île-Verte se trouvait alors sur leur chemin. Ne l'ayant pas
rencontrée à l'aller, elle n'existait pas pour eux et, suivant aveuglément le
contre-azimut, ils se sont donc échoués, sans possibilité de s'en sortir,
puisqu'ils n'ont pas pu raisonner ce problème. |
Beaucoup de cétacés effectuent des migrations importantes, suivant des routes
apprises en suivant leur mère probablement, et dont la connaissance peut aussi,
possiblement, être innée, inscrite dans leurs gènes. |
Une personne munie d'une boussole, en bateau ou en avion, maintiendra une
direction constante mais peu très bien manquer le but visé si un courant la fait
dériver latéralement, par exemple. |
Le champ magnétique terrestre provient principalement des courants électriques
qui circulent dans la masse métallique en fusion qui constitue le noyau
terrestre. Il ressemble à celui produit par une barre d'aimant, avec ses pôles
nord et sud et varie peu. Par ailleurs, une partie du champ magnétique est
engendrée par la circulation d'ions dans les jet-streams de la haute atmosphère.
Cette partie atmosphérique du champ magnétique varie de façon régulière chaque
jour. Le champ magnétique terrestre peut aussi être affecté par l'activité
solaire, par ce qu'on appelle les tempêtes magnétiques. |
Ces tempêtes
bouleversent complètement le rythme normal des variations quotidiennes. Le champ
magnétique total de la terre n'est pas identique partout : il est influencé par
la géologie du sous-sol et les dépôts de minerai métallique qu'il peut contenir. |
Comment peuvent-ils suivre ces courbes de niveau?Peut-être grâce, entre autres, à des cristaux d'oxyde de fer (magnétite) présent à l'intérieur et autour de leur cerveau (Zoeger, 1981). Ces cristaux sont situés à des endroits où ils peuvent être mis en relation avec les parties du cerveau qui concerne les horloges biologiques et l'intégration des informations fournies par les organes des sens. Il y a probablement aussi d'autres structures responsables de la détection du champ magnétique total et de son utilisation pour la navigation, mais elles restent à découvrir ou à confirmer. Pour se déplacer lors de leur migration, les cétacés n'ont donc besoin que de connaître la " carte magnétique " de la région qu'ils doivent parcourir et d'un moyen de mesurer leur vitesse ainsi que le temps écoulé. Autrement dit, ils ne se servent pas de leur sens magnétique comme d'une boussole pour s'orienter, mais comme on utilise sa mémoire quand on se promène, en se référant aux détails topographiques, collines, vallées, etc. qu'on a mémorisées. Quant à la notion du temps écoulé, elle leur est donnée par les variations régulières du champ magnétique terrestre. Chaque jour, ils remettent leur pendule à l'heure lors d'un maximum ou d'un minimum de la fluctuation de son intensité et se repositionnent sur leur carte. |
Comment estiment-ils leur vitesse?
Peut-être grâce, entre autres, à des cristaux d'oxyde de fer (magnétite) présent
à l'intérieur et autour de leur cerveau (Zoeger, 1981). Ces cristaux sont situés
à des endroits où ils peuvent être mis en relation avec les parties du cerveau
qui concerne les horloges biologiques et l'intégration des informations fournies
par les organes des sens. Il y a probablement aussi d'autres structures
responsables de la détection du champ magnétique total et de son utilisation
pour la navigation, mais elles restent à découvrir ou à confirmer. |
![]() Rorqual commun, Pabos, QC juillet 2000. Il aurait peut-être été heurté par un bateau Photo : Pierre-Henry Fontaine © |
Pour se déplacer lors de leur migration, les cétacés n'ont donc besoin que de
connaître la " carte magnétique " de la région qu'ils doivent parcourir et d'un
moyen de mesurer leur vitesse ainsi que le temps écoulé. Autrement dit, ils ne
se servent pas de leur sens magnétique comme d'une boussole pour s'orienter,
mais comme on utilise sa mémoire quand on se promène, en se référant aux détails
topographiques, collines, vallées, etc. qu'on a mémorisées. Quant à la notion du
temps écoulé, elle leur est donnée par les variations régulières du champ
magnétique terrestre. Chaque jour, ils remettent leur pendule à l'heure lors
d'un maximum ou d'un minimum de la fluctuation de son intensité et se
repositionnent sur leur carte. |
C'est peut-être dans l'ensemble des corpuscules du tact présent sur les lèvres
et le melon ou avec leurs vibrisses qu'ils apprécient leur vitesse de
déplacement en fonction des variations de la pression exercée par l'eau
circulant plus ou moins vite autour d'eux. |
Or, en cas de tempête magnétique, les perturbations du champ magnétique peuvent
brouiller la variation utilisée pour remettre l'horloge à l'heure. Celle-ci
pendra de l'avance ou du retard. L'animal ne sera donc plus où il est sur sa
carte et suivra la topographie qui correspond à une autre journée de sa
migration. |
Margaret Klinowska, qui a étudié de très près les échouages sur les côtes Anglaises, remarque la différence suivante : alors qu'on trouve des carcasses d'animaux arrivés morts un peu partout où les courants sont favorables, Les échouages d'animaux vivants se produisent exclusivement dans les régions où il y a des anomalies magnétiques (champ moins élevé que la moyenne) des " vallées " perpendiculaires à la côte ou bloquées par des îles, et après des tempêtes magnétiques. Elle remarque aussi que les espèces pélagiques s'échouent proportionnellement plus souvent que les espèces côtières, ce qui est assez logique. |
![]() Rorqual commun(Balaenoptera physalus) La disposition des carcasses de tels animaux pose toujours des problèmes de taille !!! Photo : Pierre-Henry Fontaine © |
En effet, les espèces pélagiques, qui sont en territoire mal connu
quand elles passent près des côtes, se fient présumément plus à leur système de
navigation basé sur la topographie magnétique, que les espèces côtières qui,
elles, se fient plus à la topographie géographique d'un milieu qu'elles
connaissent mieux. Les travaux de Kirswink, Dizon et Wesphal (1985) portant sur
des échouages de la côte Est des États-Unis, semblent confirmer ces faits. |
Pierre-Henry Fontaine
Pierre-Henry Fontaine est l'auteur de :
ouvrages publiés aux éditions Multimondes Québec, Canada